11 - GRAND SAINT ANTOINE - LE DERNIER VOYAGE - SEYDE: LAINE - SOIE - COTON
Arrivée à Seyde le 20 octobre 1719. Le décor change. La côte syro-palestinienne est plus aride.
Le désert d’Arabie s’étale jusqu’à l’Euphrate. Entre le golfe d’Alexandrette et le delta du Nil, les montagnes et les plateaux dessinent une côte qui n’est hospitalière que dans l’approche de la mer. C’est l’ancienne terre des Phéniciens. La rade n’est pas un abri sûr et pourtant une longue île blanche en protège l’accès. Les ancres dérapent sur le fond rocheux lorsque les navires résistent aux bourrasques du vent du nord. À l’entrée du port, le « château de la mer » semble posé sur les eaux. Suffisamment impressionnant pour dissuader les corsaires et les pirates de tous pays, il inspire aux habitants la sécurité et leur garantit une incontestable protection.
Il fut construit sur un îlot par les croisés durant l’hiver 1227-1228. Un pont aux arches multiples le rattache à la ville. La forteresse Saint-Louis dite « Château de la terre » surplombe les ruines oubliées de l’ancienne ville sainte de Phénicie. C’est ainsi que le port s’ouvre au commerce marseillais. Les négociants et les marchands de cette Échelle ne jouissent pas des mêmes luxes et privilèges que ceux donnés aux résidents de Smyrne. Ils logent à l’intérieur de la ville dans un vaste khân. C’est également une place de marché entourée de boutiques cachées sous des arcades au style architectural arabe. Le centre du marché est occupé par les magasins et les logements des négociants et des marchands.
Le consul Poullard administre leur nation depuis 1711. Il a pris la succession de Jean- Baptiste Estelle.
Dès son arrivée à Seyde, l’aumônier du vaisseau descend à terre pour se rendre à Jérusalem.
Jusqu’à Seyde, le vaisseau s’est déplacé lège ; il faut donc le lester dans la perspective du voyage vers Marseille.
On garnit le fond des cales d’une charge exclusivement composée de cendre végétale. Il s’agit des cendres de la roquette ou rochette, une herbe holophyte que l’on brûle à Saint Jean-d’Acre, à Tripoli de Syrie ou à Seyde. Cette matière pondéreuse est contenue dans 500 sacs en toile de lin. Elle est utilisée, à Marseille, pour faire le savon et fabriquer le verre. Depuis la fin du XVIe siècle, la fabrique artisanale des savons s’est adaptée à l’ère industrielle débutante. Désormais elle se désigne sous le nom de savonnerie. La verrerie doit encore et toujours plus façonner des bouteilles, des fioles, des verres à boire et des gobelets. Pour répondre à cette demande croissante il faut quérir ailleurs la soude, en Sicile, en Espagne (les barilles de la région d’Alicante) et au Levant.
Le Grand Saint-Antoine s’alourdit sous le poids de son lest. Sa cale s’ouvre aux marchandises. Ce sont des balles de coton en laine et de coton filé, une caisse de bourres et quelques balles de soie.
Le coton est un produit local que l’on se procure sous différents aspects. Brut mais appelé également coton en laine, il est très réputé lorsqu’il provient de Chypre ou de Smyrne. Deuxième apparence, le coton naturel filé est le fruit du travail des femmes qui le vendent sur les marchés. Dernière forme, le coton filé coloré, plus cher, plus précieux, et que l’on adapte à la mode de l’époque. Teinté en rouge, il est unique dans la fabrication des mouchoirs ; blanchi, il se prête à l’utile : la mèche pour les bougies, les chandelles et les lampes à huile.
La caisse de bourres contient des peaux d’animaux dont le poil est utilisé pour confectionner les chapeaux.
Quant à la soie, on n’en connaît pas la variété. On sait seulement que les soies du Levant sont très appréciées par les négociants provençaux.
Le Grand Saint-Antoine est à Seyde jusqu’au 6 décembre 1719, date de l’acquisition de la cargaison.
Extraits: Un homme, un navire, la peste de 1720 - Michel GOURY