15 - GRAND SAINT ANTOINE - LE DERNIER VOYAGE - CHYPRE - CAP CORSE
3 au 7 avril 1720
L’île de Chypre est pratiquement située sur la même latitude que Tripoli de Syrie. Le voyage est de courte durée, cinq jours, l’escale dans le port principal de l’île doit être brève.
Le 5 avril 1720, pendant la nuit, un des passagers turcs qui dort dans l’entrepont sur un tas de cordage est trouvé mort.
Le chirurgien l’examine et conclut « qu’il est mort en dormant par étouffement »
Un accident qui est vécu comme il est de tradition dans la marine. Pour se débarrasser du corps d’un marin ou d’un voyageur décédé pendant la traversée le cérémonial est immuable : jeter la dépouille par-dessus bord. C’est ainsi que deux matelots du Grand Saint-Antoine se préparent à se saisir du corps du passager. Au moment de s’en approcher, le nocher Jean Baptiste Giberton leur demande de laisser leur place aux compagnons du Turc qui précipitent la dépouille dans les flots. Les cordages ayant servi à la manœuvre sont coupés, puis éparpillés dans la mer. Aucune crainte à avoir, mais on est prudent.
Le 7 avril 1720, le Grand Saint-Antoine arrive dans le port de Larnaca.
Pour couvrir les dépenses entraînées par les réparations du navire effectuées à Tripoli de Syrie, le capitaine Chataud demande au consul Wiet l’autorisation de vendre six balles de coton et trois balles de soie. Le profit sera moindre, mais il aurait pu tout perdre !
Les quatre Turcs et le passager grec débarquent sans être inquiétés, au vu et su du consul de France et des résidents de la nation française.
Jean-Baptiste Chataud, accompagné d’Honoré Laugier, se dirigent vers la maison consulaire pour s’acquitter de leur devoir. Le capitaine rend compte avec détails, au consul et en présence d’autres personnes, de la mort du passager. Il remet ensuite à l’aga (officier) de la douane le sabre qui appartenait au Turc, moyennant une piastre et demi pour le prix d’un voyage de courte durée. Enfin, il présente sa patente de santé portant les déclarations des consuls de Seyde et de Tripoli de Syrie. Le consul Wiet appose son visa sur celle de Seyde. Les tracasseries administratives sont terminées !
13 avril 1720, on embarque quelques balles de soie et de coton pour le compte d’Antoine Bourguet, un des armateurs. Les factures sont en règle. En revanche, les passagers « disgraciés », le capitaine Carré et son écrivain Coudeneau, gagnent la confiance de deux matelots du Grand Saint-Antoine. Ils les ont chargés d’une besogne précise, en échange probablement de quelques gratifications. Ils achètent quatre pièces de coton Damite (toiles de coton fabriquées à Chypre). Pas de justificatif, donc pas de frais de douane, de la contrebande.
18 avril 1720 - Jean-Baptiste Chataud quitte désormais son rôle de capitaine-commerçant, il renoue avec son seul métier de marin. Sa mission : mener à bon port, équipage, passagers, navire et marchandises.
C’est le grand départ pour la France.
Patente de santé « nette » successivement signée à Seyde, Tripoli (de Syrie) et à Chypre, justificatifs - « permissions » - des neuf passagers, manifeste des marchandises embarquées, verbal des marchandises vendues à Chypre..., tous ces papiers et ces formalités certifiés ne peuvent que présager d’une bonne écoute de l’intendant du Bureau de la Santé à Marseille qui va décider des durées de la quarantaine pour le navire, les passagers et la cargaison.
De conserve avec le navire du capitaine Ventre, le Grand Saint-Antoine s’échappe des Cyclades, se glisse dans le détroit de Messine (ou contourne la Sicile), et cingle vers les côtes italiennes jusqu’à la hauteur du cap Corse.
Extraits: Un homme, un navire, la peste de 1720 - Michel GOURY