9 - GRAND SAINT ANTOINE - LE DERNIER VOYAGE - SMYRNE – PERLE D’ORIENT
Smyrne - Au XVIIIe siècle, Smyrne est une ville fréquentée par des voyageurs occidentaux éclairés. Ils en ramènent des descriptions pleines de couleurs et des récits animés. C’est une ville dont la population, 80 000 à 100 000 âmes, est comparable à celle de Marseille. Elle rayonne vers l’Asie. Ne l’appelle-t-on pas « perle d’Orient » !
Située au centre de la façade de l’Anatolie occidentale, elle est un passage obligé pour gagner les Dardanelles et Constantinople. Un grand nombre de caravanes en provenance de l’Asie centrale s’y arrêtent. Dès le XVII siècle elle est marquée au coin de la réussite ; c’est la ville la plus vivante de l’Empire ottoman ; elle encourage les activités du négoce et des échanges ; c’est la plus importante des Échelles pour les exportations marseillaises. La ville est un port dissimulé au fond d’un golfe profond et protégé de la houle par la presqu’île du Nez Noir. La rade est tranquille. Les galères du Grand Seigneur cohabitent avec les nombreux vaisseaux marchands au mouillage. On vit cependant dans un calme incertain. Les tremblements de terre - le dernier date du 20 juillet 1688 sont fréquents et souvent accompagnés d’incendies catastrophiques. En outre, la peste frappe périodiquement.
Elle est animée et cosmopolite. Certains voyageurs écrivent que « les cabarets étaient ouverts à toutes les heures du jour et de la nuit ». Les négociants et les marchands français résidant au Levant sont organisés en « nation » autour de leur consul respectif. La nation, quelle que soit l’Échelle, est une communauté autorisée, souhaitée et acceptée au sein d’un pays. Elle est gouvernée par un consul; elle dispose de finances propres, détient le pouvoir d’exercer sa justice et bénéficie d’une liberté d’action et de culte. Elle doit toutefois se conformer aux obligations en vigueur. On s’y réunit en assemblée pour écouter les arrêts de la Chambre de commerce de Marseille, pour obéir aux ordonnances du roi, pour trancher les difficultés de la vie de la colonie.
Le chancelier est tout à la fois secrétaire, archiviste, comptable, greffier et notaire de la nation. Les drogmans ou truchements avaient d’abord été choisis parmi les gens du pays. Puis la fonction fut réservée aux Français après un passage obligé à l’école des « Jeunes de Langue ». Ils jouent un rôle important : interprètes-traducteurs auprès du consul et des négociants. De par leur fonction d’intermédiaire, ils essuient souvent les colères du pacha et sont quelquefois maltraités. Les régisseurs se partagent donc les opérations commerciales avec les autres États occidentaux. Ils consolident ainsi leur fortune. Les autorités locales les acceptent, trouvant effectivement leur intérêt au moment de la perception des taxes douanières. Cette bienveillance s’accompagne d’une liberté inconnue des autres Échelles. Ils peuvent ainsi aller et venir à leur gré ; ils sont autorisés à monter à cheval et à sortir de la ville sans escorte ; ils peuvent s’habiller à la « franque ».
Le Grand Saint Antoine arrive à Smyrne le 20 août 1719
Le Grand Saint-Antoine se présente dans le golfe encaissé et étiré de Smyrne. Il laisse à bâbord les hauts fonds de sable qui envahissent une grande partie du golfe, les évite et mouille devant la ville. La loi de la mer s’efface devant l’autorité de l’administration locale. Comme tout bâtiment marchand, le Grand Saint-Antoine est soumis à des formalités d’usage semblables aux procédures imposées lors du départ de Marseille. Le consul de la « nation française » joue le rôle du lieutenant de l’amirauté. Il examine les papiers que lui remet le capitaine ou l’écrivain. Il vérifie le congé du navire et le manifeste de chargement, puis il contrôle que le vaisseau ne porte pas d’autres marchandises que celles décrites dans le passeport.
Jean- Baptiste Chataud relate ensuite au consul son voyage et expose avec détails ses rencontres en mer, point important de l’entretien. Le consul recueille ainsi des informations qui lui permettent, en recoupant les renseignements des capitaines interrogés, de connaître et de prévoir les opérations commerciales à venir et de se prémunir contre d’éventuels dangers. Cette quête des renseignements est obligatoire pour un consul qui doit instruire régulièrement de l’essentiel de l’activité de sa « nation » les édiles de la Chambre de commerce de Marseille et le secrétaire d’État à la Marine. Donner des nouvelles de Marseille, c’est l’affaire des membres de l’équipage. Ils sont interrogés par les résidents et les autres marins en attente de départ.
Nous ne savons si les marchandises chargées à Marseille allaient être vendues à Smyrne. Toutefois, si tel est le cas, les commis de la douane turque se chargent de contrôler celles qui sont débarquées, calculant au passage la taxe à payer ultérieurement.
Le maître d’hôtel du Grand Saint-Antoine, Louis Dol, est malade. Jean-Baptiste Chataud lui permet de débarquer.
Le Grand Saint-Antoine ne s’attarde pas à Smyrne. Jean-Baptiste Chataud prend juste le temps, en neuf jours, de changer des piastres en monnaie locale.
Désormais, il s’installe dans la fonction de commerçant, sujet du roi, certainement sous les regards d’Honoré Laugier, suivant même, peut-être, ses consignes, voire obéissant à ses ordres. Toutes les transactions d’achat doivent se faire sur place avec les seuls marchands de la « nation ». Néanmoins, parmi ces hommes de mer, beaucoup transgressent ce principe. Il ne se procure pas, ici, sa cargaison. Cette opération commerciale a été organisée et préparée, à Marseille, par les intéressés au navire. Jean-Baptiste Chataud exécute ainsi leurs directives, sous le contrôle ou l’autorité du subrécargue.
Extraits: Un homme, un navire, la peste de 1720 - Michel GOURY