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IL ETAIT UNE FOIS 1720

Publié par Festival Historique

21 - GRAND SAINT ANTOINE - LE DERNIER VOYAGE - LA QUARANTAINE ET LES PASSAGERS

L’intendant semainier peut maintenant fixer les durées de la quarantaine du vaisseau, des marchandises et des passagers. Il établit celles-ci suivant la nature de la patente de santé, nette ou brute.

Charles-Joseph Tiran annonce ainsi :

  • le vaisseau vingt jours,
  • les marchandises trente jours,
  • les passagers dix jours.

Puis il dicte au commis des archives qu’il faut quatre portefaix et que la voile doit être remise à Monsieur Laurens pour les purifier en les trempant dans l’eau de mer, comme on le fait pour les amarres ou simplement les éventer. Enfin, il demande au commis de réparer un oubli par l’ajout de la formule : « Il faut un garde ».

Après un rapide calcul, le capitaine est convaincu que les cotons et les indiennes auront le temps de séjourner dans les magasins des négociants, avant d’être vendus à la foire de Beaucaire qui se tiendra dans deux mois, du 22 au 29 juillet. Ce grand rassemblement de la Sainte-Madeleine est « la plus brillante, la plus riche et la plus intéressante foire d’Europe ». L’interrogatoire est terminé. Le commis des archives reporte les notes des trois entretiens du jour. Sans conteste, les trois dépositions sont écrites, sans interruption, l’une à la suite de l’autre.

Ces textes ont fait l’objet de surcharges et de ratures.

En outre, à la fin de la déposition figure un renvoi visiblement ajouté après le 25 mai (probablement après la fin de juin) et mal inséré faute de place après l’enregistrement de la déposition suivante : « Le capitaine ayant déclaré que les gens de son équipage qui lui sont morts tant en route qu’à Livourne, sont morts de mauvais aliments. » Qui a menti et pourquoi le maquillage et le mensonge ? »

Etudions la déposition d’origine, sans rature, ni surcharge, de Jean-Baptiste Chataud. Celle-ci est d’une grande clarté par son contenu. Charles-Joseph Tiran a peut être pris le risque de dissimuler ce qui doit être tu. La patente présentée est qualifiée par les consuls des pays visités par le navire comme « nette », mais elle rapporte que cinq membres de l’équipage sont morts pendant la traversée et qu’à Livourne trois marins décèdent également, il est vrai de fièvres malignes pestilentielles. Charles-Joseph Tiran aurait dû considérer le certificat de santé comme une patente brute. Ce qu’il ne fit pas. Patente brute, le Grand Saint-Antoine serait isolé à l’île de Jarre, une quarantaine fatale à la vente des riches étoffes de la cargaison. C’est ainsi que le récit aurait dû s’écrire. Charles-Joseph Tiran en a décidé autrement, peut-être inspiré, voire conseillé par ceux qui attendent beaucoup de la vente des marchandises du vaisseau.

Jean-Baptiste Chataud a relaté le nombre de morts et la nature de leur maladie. Qu’il dise en toute sincérité ce qu’il sait des morts de son équipage ou qu’il taise certains détails, cela n’a guère de portée sur la décision de Charles-Joseph Tiran. Quoi qu’ait exposé Jean-Baptiste Chataud, Charles-Joseph Tiran occulte volontairement tous les faits qui peuvent contrarier l’avenir du vaisseau et de sa cargaison. Le mot « peste » est écarté intentionnellement des écrits.

Qui a surchargé et raturé la déposition ? Nous constatons d’emblée que les phrases et les mots ajoutés sont écrits rapidement, sans attention de présentation, comme si on avait voulu les glisser précipitamment entre les lignes pour donner au document des précisions devenues indispensables. L’écriture est différente : mots dessinés aux formes arrondies pour le texte de la déclaration ; mots heurtés et petits, conservant néanmoins une similitude dans la forme de certaines lettres.

Jean-Baptiste Chataud regagne le port de Pomègues en fin d’après-midi. La chaloupe porte un homme de plus : le garde du bâtiment. Jean-Baptiste Chataud, s’en retourne à Pomègues pour obéir aux ordres de l’intendant semainier. N’étant plus préoccupé par le devenir du vaisseau et de la cargaison, il peut songer à sa famille. Au cours des quelques instants passés au Bureau de la Santé, le personnel a pu lui apprendre cette fatalité de la vie, le décès de son unique fille.

Jean-Baptiste Chataud est attendu par le capitaine de l’île qui va prendre connaissance, par le retour de la chaloupe, des ordres donnés par Charles-Joseph Tiran. Il doit les exécuter. Organiser le départ des passagers pour les bâtiments des Infirmeries, puis préparer le déchargement des marchandises dans les « enclos » des Infirmeries, telles sont les instructions reçues.

Quarantaine des passagers

L’intendant semainier a décidé de les envoyer aux Infirmeries le soir même, sans délai. Cet ordre répond aux souhaits de la plupart des passagers. Ils préfèrent effectuer leur quarantaine, non pas à bord du navire, mais à terre dans une des bâtisses des Infirmeries. Cette alternative qui leur a été proposée par Jean-Baptiste Chataud a certes un coût : les frais de séjour et les droits de quarantaine sont à leur charge. La dépense est insignifiante si l’on demeure à bord du vaisseau, en revanche, aux Infirmeries, il faut payer sa contribution pour bénéficier de conditions d’hébergement certainement plus agréables.

Sur les neuf passagers qui ont été embarqués à Tripoli de Syrie, huit choisissent le confort des « chambres » des Infirmeries, le neuvième, le mousse du capitaine Carré étant mort à Livourne.

À l’approche du soir, ils empruntent la chaloupe du Grand Saint-Antoine pour se rendre aux Infirmeries. Elle est conduite par Jean-Baptiste Chataud lui- même ou par l’officier en second, son frère Jacques ou le lieutenant Joseph Pascal. Selon le règlement, les passagers emportent uniquement leurs « hardes», c’est-à-dire tout ce qui est essentiel à l’habillement et au coucher pendant la quarantaine, ainsi que leur « coffre ». Les marchandises qu’ils ont éventuellement embarquées doivent faire leur quarantaine plus tard, en même temps que les pacotilles appartenant aux membres de l’équipage. Au moins six membres de l’équipage ont constaté qu’aucune marchandise appartenant aux passagers n’est restée à bord du vaisseau. Elles sont dissimulées à l’intérieur des coffres, rangées intentionnellement parmi les vêtements.

Les passagers découvrent le village d’Arenc et la masse sombre des bâtiments des Infirmeries. Ici, pendant vingt jours, ils devront vivre retirés du monde extérieur, exclus d’une ville craintive.

Le lazaret, lieu d’isolement

Les Infirmeries occupent depuis 1663 une partie du rivage dans le quartier de Saint-Martin . Le 14 août 1663 avait été posée la première pierre des constructions du « lieu destiné à resserrer et à étouffer la peste et d’où dépend le salut public. » Elles portent aussitôt le nom de « Nouvelles infirmeries » pour les différencier des « Vieilles infirmeries » installées au quartier des Catalans, au sud de la ville. Le lazaret, autre désignation donnée aux établissements des nouvelles infirmeries, est ainsi situé au nord de Marseille, à 400 mètres des remparts.

C’est un lieu d’isolement pour les passagers et les marchandises en provenance d’un pays infecté ou soupçonné de contagion.

C’est aussi un lieu de refuge où l’on soigne les marins de Pomègues atteints de maladies bénignes ou ceux présentant les symptômes de la peste. Ces malades redoutent souvent le pire, mais ils espèrent se dérober au mal contagieux, même traités comme des pestiférés. En cet endroit d’enfermement, il est strictement interdit de communiquer avec la ville.

Les Marseillais ont l’assurance d’être parfaitement protégés et préservés d’un mal que l’on mure. Ce sentiment de sécurité est d’autant renforcé que du haut des remparts, le regard se perd au loin dans la muraille qui entoure les bâtiments des Infirmeries. L’enceinte se déploie jusqu’à la mer laissant libre la portion du rivage aménagé en môles pour recevoir directement de Pomègues les navires et les bateaux de service. A l’intérieur de cet espace, les constructions se succèdent soutenues par des arcades de même architecture, chaque bâtiment étant réservé à un usage unique.

Les quarantenaires séjournent dans sept enclos ou « casernes » rigoureusement indépendants, les uns destinés aux passagers des navires ayant des patentes nettes, les autres attribués à ceux ayant des patentes brutes.

Les malades sont soignés dans vingt-sept chambres distinctes.

Les cargaisons des navires sont déposées en une dizaine de halles exposées aux vents dominants.

A l’intérieur de chacune d’elles, des banquettes en pierre de taille, surélevées et alignées, reçoivent les balles de coton à « mettre en purge ». Les marchandises sont disposées de telle sorte qu’elles ne peuvent pas se mélanger. Même balle, même couffe, même navire.

Une chapelle, un parloir, une cantine et les logements des portiers, du cantinier et du capitaine des infirmeries sont les seuls lieux d’hospitalité pour ceux qui fréquentent le lazaret.

La tour de la prison avec ses cinq cachots rappelle que les infractions au règlement sont punies.

Trois portes rompent la monotonie de la muraille. Elles s’ouvrent, sous la surveillance de portiers, vers les faubourgs de Marseille et les villages alentours. La « grande porte » du lazaret dite « du pavillon » est l’entrée officielle avec barrière. La « porte Rouge » permet l’accès uniquement aux visiteurs et aux portefaix. La « porte du côté d’Arenc » est gardée par le portier Jean-Jacques Lieutard.

Extraits: Un homme, un navire, la peste de 1720 - Michel GOURY

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