Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

IL ETAIT UNE FOIS 1720

Publié par Festival Historique

20 - GRAND SAINT ANTOINE - LE DERNIER VOYAGE – LES PREMIERES MESURES SANITAIRES

De jour comme de nuit l’officier du Bureau de la Santé se tient soit à bord du bateau de garde, soit dans la « cabane » située à l’entrée du port : un lit, une grande armoire de bois blanc, une table et quatre chaises, deux grandes jarres à eau, deux petits fanaux, deux pavillons en toile avec Saint-Roch peint sur l’un, une longue-vue, un écritoire en fer blanc, un porte- voix.

Son rôle : surveiller les navires au mouillage et empêcher que tout bateau de pêcheurs ou autres n’approchent de ce lieu à une distance de cent toises ou une encablure.

Son quotidien : aller au-devant de tous les navires qui se présentent pour faire quarantaine. Le bateau de garde s’approche du Grand Saint-Antoine et l’officier du Bureau de la Santé interroge brièvement Jean-Baptiste Chataud, l’écoute.  Le navire peut être dirigé vers l’île de Jarre - site retenu pour les navires en quarantaine arrivés avec patente brute ou demeurer à Pomègues si la patente est nette.

Le capitaine du bateau de garde prend sa décision et permet à Jean-Baptiste Chataud de mouiller son vaisseau à l’intérieur du port de Pomègues.

Ici, s’achève un long voyage de dix mois.

Ses voiles affalées et ferlées, le vaisseau tiré par son canot s’engage dans l’entrée du port de Pomègues. Lentement le Grand Saint-Antoine se laisse conduire vers son lieu de mouillage. L’officier du bateau de surveillance lui fait crier par un des gardes de frapper ses amarres sur un ou deux aurails (bittes d'amarrage creusées à même la roche). La manœuvre n’est pas facile : d’abord jeter une des ancres de proue, puis, peu à peu, culer le navire vers la côte.

Il faut que le Grand Saint-Antoine se libère rapidement des contraintes de la quarantaine. La cargaison se trouve désormais sous l’arbitrage des intendants de la Santé.

Le capitaine est contraint de réunir devant lui son équipage et ses passagers avant de rencontrer les intendants de la Santé à la consigne sanitaire. Il lui faut écouter, identifier ceux qui détiennent des pacotilles à bord, faire ouvrir et vider les coffres, malles, valises, caisses et couffes. Il fait sonder les matelas, les chevets et les oreillers en vue de découvrir des marchandises qui auraient pu être dissimulées à dessein. Un seul but, s’assurer que tout a été déclaré. Il demande à Jacques Chataud, l’écrivain, d’établir la liste des pacotilles, qu’elles soient déclarées ou découvertes pendant la fouille, spécifiant pour chacune d’elle, le nom du propriétaire. Cet inventaire, une fois dressé, sera remis au capitaine des Infirmeries. Les pacotilles constituent 51 lots.

La Consigne sanitaire

Le capitaine Chataud monte ensuite à bord de sa chaloupe, qui porte accrochée à l’extrémité de la hampe la flamme de couleur des bateaux en quarantaine. Direction Marseille pour la Consigne sanitaire. Le règlement impose qu’après les interrogatoires, des formalités administratives plus détaillées soient transcrites sur de grands registres. Il ne leur faut pas moins de deux heures d’effort avant d’apercevoir la tour carrée du fort Saint-Jean et le clocher de l’église Saint-Laurent. Le siège administratif du Bureau de la Santé est installé sur une sorte de ponton ou bâtiment flottant, accolé à la tour Saint-Jean. La chaloupe se présente devant le quai en bois et s’immobilise contre le ponton. Le règlement est formel : il interdit aux marins de descendre à terre. La ville se protège ainsi et se préserve des contacts susceptibles d’apporter le « mal contagieux ».

Jean-Baptiste Chataud répond aux questions de l’intendant depuis son canot. Derrière les fenêtres grillagées du bâtiment flottant, le corps administratif du Bureau de la Santé interroge les capitaines au fur et à mesure de leur arrivée. Il est constitué d’intendants semainiers, d’un secrétaire-archivaire, d’un commis des archives et de deux valets.

La Déposition du capitaine

Jean-Baptiste Chataud comparaît devant Charles-Joseph Tiran. Comme le règlement l’impose, il se présente « chapeau bas ». Il reste tête nue jusqu’à ce que l’intendant lui permette de se couvrir. Ce cérémonial est de nature à placer en situation d’allégeance les capitaines marchands envers les représentants d’une administration souveraine. Le ton de l’interrogatoire est donné, même si capitaine et intendant souvent se connaissent et de temps à autre fréquentent les mêmes lieux. Dire la vérité sans rien cacher, tel doit être le cours de l’interrogatoire.

Faire une fausse déclaration, c’est être condamné à la peine de mort, par pendaison, « pour crime d’infraction manifeste aux lois de la santé ».

Dernier rituel obligatoire, la prestation de serment. L’intendant présente, au travers de la grille de fer de la fenêtre, une palette dans laquelle est enchâssée la première page de l’Évangile selon Saint Jean. Posant la main sur l’Évangile, Jean-Baptiste Chataud prête serment à haute voix. Mentir à cet instant paraît improbable tant les attaches à Dieu sont présentes.

Les deux valets du Bureau de la Santé doivent être de « bonnes mœurs » et savoir lire et écrire. Ils ont posé, près de la grille de la fenêtre, un baquet de bois rempli de vinaigre. Tous les écrits qui ont été remis au capitaine, patente de santé et courriers des Français dans les Échelles, doivent être soit lus immédiatement s’il s’agit de certificats de santé, soit transmis rapidement aux destinataires. Foin des quarantaines qui remettent à plus tard ce que l’on brûle de savoir tout de suite ! L’information n’attend pas. Les papiers, à défaut d’isolement, sont purifiés par le vinaigre.

Ainsi, le premier contact obligatoire entre le vaisseau et la ville, est un accessoire utilitaire : le baquet de bois et son liquide purificateur. Les patentes de santé doivent être trempées dans le vinaigre. Les lettres destinées aux particuliers sont ouvertes par les matelots de la chaloupe à deux extrémités, puis imprégnées de vinaigre de telle sorte que le liquide puisse mieux pénétrer.

Les courriers et paquets réservés à la Cour profitent d’un traitement moins agressif : ouverts par les mêmes matelots aux quatre coins, ils sont simplement « parfumés », c’est-à-dire imprégnés par des vapeurs provenant de la combustion de diverses plantes et devant débarrasser les papiers des miasmes éventuels. Le bacille de la peste se trouvant dans un milieu (ici le papier) qui n’est pas son terrain de prédilection persiste quelques jours sous une forme sporulée. Endormi dans son cocon, il reste néanmoins sensible aux agents physico-chimiques, tel l’acide acétique.

Jean-Baptiste Chataud jette dans le baquet de bois la patente remise à Seyde et visée ensuite à Tripoli de Syrie, à Chypre et à Livourne. Une fois suffisamment imbibée, ils étendent sur une planche les documents et les présentent à l’intendant.

Ce papier est lu et examiné en premier avec attention. Son analyse permet de légitimer les décisions de l’intendant. Soit le navire peut sans danger être mis en libre pratique après une quarantaine normale, soit il fait l’objet de précautions particulières. Charles-Joseph Tiran constate que les déclarations des consuls des Échelles constituent une patente nette.

Il s’adresse directement au capitaine qui va subir un véritable interrogatoire. Les questions sont groupées en trois thèmes et toujours posées selon un même ordre: le lieu de départ, les lieux de mouillage, de relâche, les passagers.

- D’où venez-vous ? De Seyde.

- Quels sont vos noms, prénom et qualités? Chataud, Jean-Baptiste, capitaine de vaisseau marchand.

- Quel est le lieu de votre naissance ? Marseille.

- Quel est le nom de votre navire ? Grand Saint-Antoine.

- De quoi se compose votre cargaison ? De diverses marchandises pour plusieurs intéressés.

- Quel jour êtes-vous parti ? Le 30 janvier 1720.

- Quel était l’état de la santé publique à l’époque de votre départ ? Bonne.

- Quels navires avez-vous laissé au lieu de votre départ ? Le navire du capitaine Buech.

Le commis des archives écrit dans son cahier les premières réponses. Tiran poursuit l’interrogatoire.

- Avez-vous relâché quelque part ? En quels lieux, à quelle époque ? J’ai relâché à Tripoli de Syrie le 3 avril, à Chypre le18 avril et à Livourne le 19 mai.

Silence au sujet du Brusc. Il se tait, se conformant certainement aux directives reçues.

L’interrogatoire s’achève en abordant la situation des passagers.

- Avez-vous des passagers à bord ? Combien ? J’ai huit passagers ; un Arménien et son valet et d’autres passagers.

- Les remettrez-vous aux Infirmeries ou les garderez-vous à bord pendant la quarantaine ? Ils ont choisi d’effectuer leur quarantaine aux Infirmeries.

- Avez-vous des capitaines que les Consuls des Échelles vous ont obligé d’embarquer ? J’ai le capitaine Joseph Carré et son écrivain, marins « disgraciés ».

Extraits: Un homme, un navire, la peste de 1720 - Michel GOURY

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article