12 - GRAND SAINT ANTOINE - LE DERNIER VOYAGE - SOUR, LE PRECIEUX CHARGEMENT
A Sour, pendant plus d’un mois, on transborde dans les cales du Grand Saint-Antoine les textiles de toutes natures: coton, soie, toiles, tissus mais aussi du cuir, de la cire et de la cendre.
Cotons: Les étoffes, les tissus divers et les filés constituent les principaux groupes de production. Ils représentent la part la plus volumineuse de la cargaison : 242 balles de coton brut, 491 balles de filé. Celui-ci, plus cher à l’achat que le brut, est très recherché des fabricants marseillais. Les filatures ne répondent pas encore à la demande ; peu nombreuses, elles esquissent les premières phases d’un essor naissant. Il existe un véritable engouement de la noblesse et de la bourgeoisie pour ce que l’on appelle « les toileries » : tissus plus légers que les lainages, couleurs vives et variées des fameuses toiles aux motifs imprimés. C’est ainsi que les trente balles d’indiennes de la cargaison laissent présager un bon bénéfice. Le coton se récolte en ces lieux en novembre et décembre, il se file et se teint sur place. C’est la période favorable pour acheter le plus beau après souvent avoir ergoté sur les prix. Le coton en laine vaut deux fois moins que le coton filé.
Tous ces textiles sont enveloppés dans des balles ou ballots qui portent des marques et des numéros distincts : nature du contenu, nom du négociant.
Soie: Soixante-trois balles ou ballots. Les Marseillais avaient obtenu en 1609 du roi Henri IV le monopole d’importer les soieries du Levant et, au début du XVIIIe siècle, un arrêt du Conseil a consolidé ce privilège. Les soies levantines alimentent les manufactures de moulinage, tissage, passementerie et bonneterie de Marseille. Celles de Seyde, de Tripoli et d’Alep ne craignent pas encore la concurrence de la sériciculture provençale, languedocienne et dauphinoise. Donnons le temps aux mûriers de se fixer et de se développer, dans une trentaine d’années.
Laine: Cinq balles de laine de chevron et deux balles de laine rousse. C’est une appellation locale pour désigner le poil de chameau selon l’origine et la couleur. Le poil de chameau entre dans la fabrication des chapeaux de feutre.
Autres denrées: Une balle de cuir traité appelé cordouan et dix balles et cinq sacs de cire. La cire est employée dans la fabrication des cierges et des bougies.
La pacotille: Le droit de pacotille est une tolérance en usage dans toutes les marines, à toutes les époques. Cette tradition concède à quiconque de l’équipage la liberté d’acheter pour soi une certaine quantité de marchandises ou de souvenirs qui souvent n’apparaissent pas dans les manifestes des navires. Du mousse au capitaine, chacun peut donc tenter fortune selon ses moyens. Certains créent, le temps d’un voyage, une société.
L’ensemble de la pacotille du Grand Saint-Antoine est connue. Les marchandises et denrées qui la composent se répartissent en paquets, ballots, sacs et malle : cinquante et un lots appartenant aux gens de l’équipage, au capitaine et à certains particuliers. Ce chiffre est en rapport avec le nombre de marins et de passagers à bord du vaisseau. L’état de l’inventaire est détaillé. La plupart des ballots et des paquets renferment des soieries et des cotons dont il est précisé la qualité, la couleur et l’origine. Mouchoirs, tapis, raisins secs, pistaches, éventails, sacs de cuir, vieux habits... tout n’est pas que soie et coton !
Une malle s’ouvre sur sept chasubles, six bourses de quatre aubes garnies de dentelles, un devant d’autel et un miroir avec son cadre. Elle appartient à Jean-Baptiste Chataud.
Les cales du navire sont remplies, les négociants peuvent être satisfaits, la cargaison est fort riche.
Pour apprécier la valeur de la cargaison, nous avons d’abord lu les écrits des témoins du moment. C’est ainsi que le subdélégué Rigord parle de « grand et précieux chargement » qu’estiment les contemporains à 100 000 écus, soit 300 000 livres tournois (Soit 3.375.546,77 euros).
Extraits: Un homme, un navire, la peste de 1720 - Michel GOURY